Par défaut

ENTRETIENS AVEC WOODY ALLEN

Je conseille à tous ceux qui, comme moi, sont des malades de trouvailles et de pistes diverses pour toujours explorer de nouveaux terrains de jeux, un bouquin de dingue : « Conversations avec Woody Allen » d’Eric Lax paru aux Editions Plon. C’est un puits sans fond au niveau de l’inspiration, une vraie merveille qui pétille à chaque page, un concentré de bonheur pour tous les créateurs, les artistes, les curieux, les passionnés en général ! Et, comme je vous aime, j’ai eu envie d’en partager un bout avec vous, là tout de suite… maintenant ! Alors voici un ou deux morceaux choisis de ce livre génial !

Sachez que je suis un vrai fou de travail et je sais, par expérience, que rien ne peut remplacer le travail acharné. Il se trouve que Woody Allen est exactement sur la même longueur d’onde que moi là-dessus. Alors, si vous voulez un jour prétendre à découvrir autre chose que la roue, je ne peux que vous conseiller sa lecture, ou la mienne, ou bien celle de n’importe quel fêlé comme nous !!!

Prenez votre temps pour lire ces quelques extraits qui m’ont donné des frissons !

9782259204903 Eric Lax : « Quand l’écriture ou la réflexion, avancent lentement, comment restez-vous concentré ? Pour la plupart des auteurs que je connais, à commencer par moi, c’est à ce moment-là qu’on commence à vérifier si le crayon n’a pas besoin d’être taillé. »

Woody Allen : « Il y a sans doute une chose qui m’a aidé au cours de toutes ces années : c’est le fait que je sois devenu auteur d’une façon finalement assez brutale. C’est Danny Simon qui m’a appris  à le devenir. (Danny : mort en 2005, frère aîné de Neil Simon, avec qui Woody a travaillé pour la NBC dans les années 50.  « Danny m’a arraché aux rêveries, et m’a mis de plain-pied dans le réel. Soudain, je me suis trouvé dans la situation de devoir écrire un ou deux sketchs par semaine. On gagnait beaucoup d’argent, et il fallait qu’on fournisse nos sketchs. Tout ce que j’ai appris de l’écriture d’une comédie, c’est de lui que je l’ai appris. ») J’ai rapidement compris que l’écriture n’est pas facile, que c’est un travail angoissant, très dur. Longtemps après, j’ai lu que Tolstoï avait déclaré : « On doit tremper son stylo dans le sang . » Autrefois je m’y mettais tôt le matin, je travaillais, j’écrivais, je raturais, je déchirais ma feuille, je recommençais. C’était une méthode terrible, je n’attendais jamais l’inspiration. Je voulais forcer les choses. J’arrivais toujours, à force, à écrire et à réécrire. Au fil des années, j’ai acquis des milliers de petits trucs pour m’aider à passer ce cap difficile. »

Vous le croirez ou non mais il se trouve qu’à mon petit niveau de cloporte par rapport au maître Allen, j’ai toujours pratiqué cette façon de faire au niveau création magique (car je vous rappelle en passant que j’ai toujours écrit tous mes tours)… On me demande si souvent comment je m’y suis pris pour créer tel ou tel tour, que je suis particulièrement heureux d’avoir trouvé écrit « noir sur blanc » cette méthode qui est aussi la mienne et qui semble être celle de la plupart qui se confrontent à la recherche et à l’écriture…

Eric Lax : « Le dramaturge Paddy Chayefsky, dont vous m’avez parlé une fois, dit qu’entre deux projets, un auteur a envie de se tuer. C’est votre cas ? »

Woody Allen : « Quand enfin on se dit : « Voilà l’idée, je vais m’y mettre », c’est un véritable plaisir. Vient ensuite le moment de structurer l’idée, ce qui est parfois difficile, ou non. Mais quand on finit par s’asseoir et par se mettre à écrire, c’est comme de déguster le repas qu’on a passé la journée à préparer. »

Encore une fois je me reconnais tout à fait dans cette réflexion : j’exulte littéralement lorsque je sais que j’ai la base d’un nouveau tour ou d’un nouveau spectacle et qu’à présent il ne me reste plus qu’à orchestrer l’ensemble de nouvel ouvrage. J’ai trouvé hallucinant de voir à quel point nous pensons pareillement et  cela m’a conforté dans l’idée que toute recherche sincère passe par des chemins plus ou moins identiques. J’ai trouvé cela vraiment rassurant, alors je pense que si vous êtes toujours connectés avec moi comme beaucoup d’entre vous, cela vous fera du bien aussi !

Eric Lax : « Quels sont ces milliers de petits trucs que vous avez acquis ? »

Woody Allen : « Toujours me forcer à penser, dès que j’ai un moment libre, à quelque chose qui ait un rapport avec le projet : le matin, quand je me douche ; le soir, quand je me couche ; quand j’attends un ascenseur. Il y a quelques années, on m’a raconté l’histoire d’un pitcher de la major league. Il avait toujours voulu être pitcher. Quand il était adolescent, dans une ferme, son père lui avait dit : « Où que tu te trouves, dès que tu as un moment, prends une pierre, et essaie de viser un brin d’herbe, essaie de viser une petite branche. Utilise chaque instant. »

Ça m’a paru logique, et j’ai toujours essayé de le faire. J’ai constamment un problème à résoudre. Et j’ai toujours essayé de guetter tous les pièges qui empêchent d’écrire, d’éviter de tomber dedans. Il y a tant de choses qui peuvent servir d’excuse pour ne pas se lever le matin, et ne pas affronter une journée de solitude passée à réfléchir sans résultats avant de se coucher sans avoir résolu son problème. Ça c’est la part la plus désagréable de ce travail. Une autre chose m’aide énormément : m’entendre exposer le problème à voix haute. De cette façon, il quitte soudain le règne de l’imagination, et devient quelque chose de concret. J’appelle Mia, et je lui dis : « Je voudrais te parler d’un problème. » Evidemment, il y a des problèmes qu’elle ne pourra jamais résoudre car elle n’a pas la moindre idée de ce à quoi j’ai réfléchi au cours des derniers jours. Mais on se balade dans la rue en discutant, et le simple fait de m’entendre en parler m’aide beaucoup. Il faut aussi se méfier de ce petit piège sartrien, quand on expose  son problème à quelqu’un, alors qu’on a déjà pris une décision et qu’on recherche uniquement l’approbation de l’autre. Dans ce cas, même si on fait en sorte de paraître exposer objectivement les arguments contraires, on présente le problème de façon que l’interlocuteur soit d’accord.  Ce stade du travail est plein de pièges. 90% des erreurs se font au stade de l’écriture. En général, elles n’ont rien à voir avec les acteurs, ni avec la mise en scène. Elles tiennent à l’écriture.

On parlait beaucoup de ça, Gordie (le directeur de la photo Gordon Willis) et moi. Un bon scénario mal filmé et mal éclairé peut quand même donner un film réussi. Il y en a des milliers d’exemples. Depuis les films amateurs jusqu’à ceux de Bunuel, il y a un tas de films mal réalisés, mais qui sont si bien écrits qu’ils fonctionnent. Alors que si le scénario est mauvais, le film, la plupart du temps, ne fonctionnera  pas, aussi soignée que soit la réalisation… »

Nous sommes en plein dans ce que je voulais vous dire aujourd’hui sur la recherche et la construction d’une idée, d’un tour ou plus encore ! Je suis assez invivable pour mon entourage par moments, voire tout le temps ( !), dans la mesure où je suis sans cesse en train de réfléchir à un nouveau tour, une nouvelle idée pour le show « de dans deux ans » (lol) ou sur une construction pour un confrère ou n’importe quoi qui se rapporte à la magie de près ou de loin ! Je suis fait de ce bois spécial et croyez-moi, avant que je lise des auteurs comme Woody Allen, j’étais très mal dans ma peau, croyant que je débarquais d’une planète inconnue, tellement mes préoccupations étaient éloignées de celles du reste des personnes qui m’entouraient !!! Souvent j’ai à répondre sur le « Comment je fais pour trouver des idées de tours ou de nouvelles méthodes ». Lorsque je réponds, je vois dans le regard de mon interlocuteur une espèce de vide et de déception et je comprends que je ne dois pas être assez clair voire trop clair : IL FAUT BOSSER POUR TROUVER QUELQUE CHOSE. J’espère qu’en me lisant vous découvrirez que ce n’est pas une horreur de travailler car c’est la plus merveilleuse chose qui soit dans la vie. Aujourd’hui on essaie, à juste titre, de prendre sa retraite le plus rapidement possible, et moi j’aspire, si Dieu me prête vie et santé (je demande beaucoup), à pouvoir travailler jusqu’à mon dernier souffle. Je n’ai aucune intention de m’arrêter de bosser. JAMAIS !!! Je crois humblement que ce minimum peut permettre de trouver des choses toujours. Mais vouloir découvrir des tours nouveaux en bossant de temps en temps n’est pas possible, en tous cas pour moi. Je trouve que la hargne positive de ce maître qu’est Woody Allen est admirable et je pense que nous devrions tous en prendre de la graine et afficher en grand devant son lit tout ce qu’il dit pour s’en imprégner et bosser, bosser… et surtout bosser.

Travaillez bien !

Avec toute mon amitié

Dominique Duvivier

Afficher plus

Dominique Duvivier

♣️ Magicien. ♦️ Maître de l’art du #CloseUp. ♥️ Créateur de tours et professeur. ♠️ Fondateur @ledoublefond et directeur de Mayette Magie.

Articles similaires

3 commentaires

  1. Bonjour Dominique,
    J’ai acheté et lu ce livre l’année passée, d’ailleurs je me suis dis que j’allais t’en parler pour savoir si tu l’avais 🙂
    J’ai souvent pensé à toi en lisant Woody Allen j’ai été également surpris de sa rigueur et de son aptitude au travail.
    Merci de partager cela sur ton blog.
    Je me suis souvent demandé comment tu faisais à ton stade pour avoir toujours autant de motivation et d’envie de créer, dès que tu as terminé l’écriture d’un spectacle tu penses déjà au suivant…
    Car avoir l’idée est une chose mais la réalisé, la concrétiser en est une autre, pour moi c’est là la grande difficulté.
    Petite question :
    Je me suis souvent demandé si lorsque tu recherchais un nouveau tour, un nouveau thème, un nouveau spectacle, tu le faisais pour toi en te disant, « j’ai envie de montrer telle chose, j’ai envie de faire passer tel message » ? ou en te mettant dans la peau du spectateur en te disant « que vient-il voir, si j’étais spectateur qu’est-ce que j’aimerai voir d’un magicien, quel effet est pour moi le plus magique » ?
    amitiés
    Carl Valentin

  2. Bonjour Dominique, merci pour cette leçon de courage et d’humilité…a l’inverse du … »j’ai inventé ce tour entre midi et deux sur un coup de table »!!!
    je suis au bout du monde, dehors un soleil magnifique, une plage paradisiaque…et moi, dans la chambre d’hotel je bosse (lol)….Bon j’ai qd même, dans la poche une morgan, une piece chinoise..(.on peut réfléchir et faire marcher ses mains)…et dans le sac à dos un bycicle bleu qui ne me quitte jamais….je progresse 🙂
    Très amicalement à toi
    Cavaflar

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page