
On dit souvent, face à un problème qui survient, qu’il n’y a pas cinquante solutions pour se positionner. On agit ou pas. On va au restaurant ou on dîne à la maison. On sort ou on reste chez soi. Je pourrais multiplier les exemples tant nous sommes habitués à cette alternative basique : oui OU non. Parfois on a quand même la présence d’esprit d’envisager trois solutions pour résoudre un problème. On se fend alors d’un : oui, non ET… peut-être ! Ce qui revient à dire : peut-être bien que oui ou peut-être bien que non. Bref, ce n’est pas une « vraie » troisième solution. Moi, j’aime bien toujours essayer une vraie troisième possibilité.
Par exemple, face à cet éternel problème très spécifique aux magiciens : « Doit-on utiliser des cartes truquées dans un tour de cartes ou non ? ». Je n’ai jamais bien compris ce débat pour être honnête… Mais, comme cela semble préoccuper pas mal les magicos, parlons-en ! L’idée, c’est en fait : pour obtenir tel ou tel effet magique, pourrait-on se passer de cartes truquées ? Alors, nous avons d’un côté les « puristes » (les orthodoxes, les extrémistes de la magie !), pour qui c’est évident : il faut travailler uniquement avec des cartes normales, sinon pas de salut ! Et puis il y a les autres qui vont n’utiliser que des cartes truquées, par facilité. Donc, là encore, on est dans l’alternative basique : c’est oui ou c’est non.
Alors, moi, je dis : la réponse est ailleurs ! Parce que le problème, ce n’est pas : « Oui aux cartes truquées ! », ou « Non aux cartes truquées ! ». C’est : proposer de la magie qui fasse rêver les spectateurs, qui les fasse halluciner ! Réaliser des choses qui seront vécues comme des petits miracles. Faire vivre des moments exceptionnels au public. Ça, c’est un challenge important. Le seul et unique d’ailleurs à mes yeux. Après, cartes truquées ou non, on s’en fiche. C’est la finalité qui compte. Pourquoi s’empêcher d’utiliser des gimmicks, quels qu’ils soient, si cela nous permet de donner ce qu’on a envie de donner au public ? La carte truquée regorge de secrets et de possibilités cachées et, au nom de je ne sais quelle prétendue « pureté », on devrait s’en passer ? Donc, dans cette nouvelle optique, la problématique évolue : ce n’est plus « Carte truquée or not ? », mais : « Est-ce que, grâce à des cartes truquées, mon tour pourrait être encore plus fort que sans ? ».
Et puis, pourquoi se cantonne-t-on à attribuer cet adjectif de « truqué » aux cartes, comme si c’était quelque chose d’honteux ? Imaginons qu’on dise maintenant qu’il s’agit de « cartes spéciales » … Oui pour les puristes, c’est exactement la même chose. Mais si l’on essaye d’être un peu moins étriqué dans notre façon de penser, c’est toute la richesse de cette fameuse « troisième solution » qui s’ouvre à nous : par exemple des cartes « spéciales » pourraient très bien être données à examiner dans le cadre d’un scénario qui le justifierait. Plus forcément obligé de les cacher à tout prix ! C’est le principe de mes tours de « L’Imprimerie » ou de « La Carte Caméléon » qui, en leur temps, ont scandalisé les hauts-dignitaires-de-la-sainte-chapelle-de-la-magie-pure. Ha ha ha, j’aime bien les titiller ceux-là qui ont toujours des leçons à donner à tout le monde, mais qu’on ne voit pas beaucoup travailler devant des vrais publics…
N’oublions jamais notre position vis-à-vis des spectateurs : nous sommes des magiciens, donc nous avons le pouvoir de créer des miracles. Dès lors, si notre scénario est bon, le public embarque avec nous et ne pensera jamais à des cartes truquées. Il dira juste : « J’ai vécu un moment incroyable ! ». Et si ce n’est pas le cas, c’est que vous pouvez sûrement faire mieux : vous pouvez améliorer votre approche, votre texte, votre posture pour que votre public ait le sentiment d’avoir vécu…des miracles !


