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Ni oui, ni non

Tout le monde connaît ce jeu où il ne faut jamais dire « oui » ou « non ».

La plupart d’entre nous succombent sous le flot incessant de questions pressantes qui nous amènent à dire « oui » ou « non » : nous sommes emportés par le tourbillon des paroles et des questions…

En fait si nous nous laissons aller rapidement, cédant à l’interdit, c’est que l’axe des questions posées est souvent très ciblé : on nous demande de parler de soi, de choses personnelles…

Notre ego étant sollicité, nous entrons dans notre vie intime et immédiatement nous devenons fragiles, inconscients de la formulation de nos réponses et hop : « oui » ou « non » s’échappe de notre bouche… Et nous nous réveillons très vite de notre torpeur, tout bêtes d’avoir si vite « craqué » avec ce jeu qui semblait facile à dominer !

 

En partant du principe de ce jeu, on peut imaginer une structure analogue pour arriver à ses fins lorsqu’on essaie d’amener notre spectateur à dire quelque chose de précis, lors d’une prestation magique.

Pour cela partons déjà d’un postulat essentiel : travaillons sur l’impact d’un tour pour espérer le faire entrer dans la case « miracle » plutôt que dans la case « tour-de-magie-comme-mon-frère-me-l’a-fait-y’a-pas-si-longtemps » !

Faisons entrer notre spectateur dans le monde de ce qu’il ressent, qui l’aide à vivre… Pénétrons dans ses repères, en quelque sorte !

 

Ce qui différencie ma pensée ici par rapport à d’autres essais que j’ai tentés, au gré de mes réflexions habituelles (souvent tournées vers la recherche, la créativité, l’invention…), c’est la recherche des points d’ancrage qu’en tant que magicien il faut apprendre à analyser chez nos spectateurs, afin de « prendre la main » doucement sur eux. En effet, nous allons pouvoir nous octroyer ses actions dès lors qu’il aura  succombé au « ni-oui-ni-non-nouvelle-formule », si je puis l’intituler d’une manière aussi cavalière !

 

Prenons un exemple pour rendre les choses plus claires et plus concrètes.

Je propose des spectacles de magie de close up depuis l’ouverture du Double Fond en 1988. J’ai dû créer une vingtaine de spectacles différents d’une heure et demie, notamment la série des « Intimistes » (dont deux volets sont sortis en DVD). Dans ces spectacles, j’ai pris une habitude depuis quelques années qui consiste, pour la bienséance et l’éducation telles que je les considère, à demander aux deux spectatrices que je place à mes côtés pendant toute la durée du show, s’il n’est pas ennuyeux pour elles de se trouver sous les feux de la rampe, si près de moi.

Jamais je n’ai essuyé de refus en procédant de cette façon.

Pour quelques spectacles j’ai dû demander même à ces deux charmantes spectatrices de changer de prénom (il faut savoir que je suis incapable de me souvenir de prénoms nouveaux !). Afin d’obtenir leur consentement de façon systématique, j’ai inventé un stratagème, immonde ( !) mais très crédible, qui entre dans le champ de notre discussion sur ce principe du ni « oui » ni « non »… En effet, je leur explique avant même le début du show que je souhaite, dans ce spectacle, rendre un hommage  à un grand magicien disparu. Je vais évoquer une soirée mémorable à laquelle j’ai assisté avec ce magicien et, pour le faire du mieux possible, je vais reprendre les prénoms des personnes qui étaient présentes à ce soir-là. Ainsi mes deux spectatrices rentrent dans mon histoire : elles sont impressionnées, conditionnées pour la  suite et moi je n’aurai pas à me souvenir de leurs prénoms pendant le spectacle ! Le show démarre avant l’heure sur les « chapeaux de roues », si je puis dire !

Le spectateur « prévenu » est toujours prêt à rendre service et ira au devant de beaucoup de nos desiderata. Bonne nouvelle, non ?

 

Nous avons fait appel, sans nommer la chose auparavant, à des « moteurs intérieurs » profonds, comme dans le célèbre jeu du ni « oui » ni « non ».

 

Nous venons de démontrer qu’avec un peu de psychologie et d’astuces, nous pouvons obtenir de la part des spectateurs des participations systématiques.

Mais comment conditionner le public plus avant ?

 

Le concept du  ni « oui » ni « non » se base schématiquement sur trois choses :

  • L’inconscient collectif (sujet déjà traité par mes soins dans différents essais)
  • Le détournement d’attention verbal (nous allons y revenir un peu plus bas)
  • L’envie de se détacher d’un « souci qui en colle un autre » dont nous allons parler tout de suite…

 

On cherche à ne pas dire « oui » ou « non », c’est la règle du jeu. Donc on se concentre pour ne pas parler sans réfléchir. On tente de répondre à des questions qui nous touchent en se comportant le plus normalement possible (c’est-à-dire honnêtement) tout en ne disant pas des mots forts, « irremplaçables » même, pour y répondre. Le parcours devient, au fil des secondes qui s’égrènent, intolérable ou presque…

Pour se détacher de ce problème (ne pas utiliser les mots « oui » ou « non »), nous allons nous sentir « intelligents » en utilisant des mots de substitution : « Parfois », « Cela m’arrive », « De temps en temps »…

Plus on va se concentrer sur des mots de ce genre pour ne pas dire les mots interdits, moins nous allons pouvoir être concentrés sur les réponses que nous apportons sur des choses que nous qualifions  d’importantes dans notre vie.

Réfléchissez et vous remarquerez que nous sommes incapables ou presque de ne pas dire la vérité quand il s’agit de parler de nos goûts et de nos couleurs… Avec vos frites, c’est plutôt moutarde ou ketchup ?!

Tous ces détournements vont nous précipiter dans l’erreur assez rapidement : nous allons nous «embarquer » et tout l’art consiste dans notre sujet, à amener le spectateur à venir précisément où nous voulons qu’il vienne.

 

Revenons maintenant à l’analyse du concept du détournement d’attention verbal.

 

On peut croire que le détournement d’attention ne peut être que visuel. On pense vite que l’attention est l’affaire des yeux. Grossière erreur, ai-je envie  d’asséner pour faire une phrase choc !

J’ajouterais même que le détournement verbal est plus astucieux que le détournement visuel qui avait pris son envol, si je puis dire, avec le fameux « Regardez le bateau, là-haut ! », en levant la main vers le ciel !

Nous sommes loin de cela ici.

Pour parler plus avant, on dit, dans un registre qui semble éloigné : « Ventre vide n’a pas d’oreille ». On sous-entend que, tout en nous voyant, le spectateur qui n’a pas encore mangé et qui voit son plat tout chaud sous le nez, ne peut fixer son attention car il ne pense qu’à se remplir la panse !

Dans ces instants-là, il a beau essayer de regarder ce qu’il se passe, il ne voit pas vraiment : il ne peut fixer son attention. Il redevient une bête affamée, un homme préhistorique quasiment !

Je grossis le trait pour faire comprendre l’idée… Vous l’aviez compris j’imagine, non ?

Je plaisante mais tout juste car « l’homo-sapiens-nécessiteux-de-bouffe » est devenu entre temps un automobiliste pressé… vous imaginez ce que cela représente ?

 

Il est bon de rire mais restons fidèles à notre thème du moment !

 

 Si on accepte le fait que l’homme est victime de ses sentiments autant que de son besoin de se nourrir, nous allons pouvoir accéder à de grandes choses ensemble, dès tout de suite !

 

On soupçonne à peine le pouvoir imaginatif d’un spectateur : il est capable de croire à des choses totalement hallucinantes ! Il peut  « entrer » littéralement dans une suggestion, comme s’il y était !

Petit exemple (vécu !) :

On met une pièce de monnaie dans la main du spectateur. Celui-ci doit fermer la main, c’est ce qu’on lui demande, bordel ! Il s’exécute. On lui dit alors qu’on va faire voyager une autre pièce de différente valeur, différente couleur et de taille différente dans sa main. Il voit clairement cette seconde pièce en question. On lui dit de ne surtout pas ouvrir la main et on lui explique que pourtant la transposition va s’opérer. Dès cet instant particulier qu’on vient de créer, on peut effectuer un échange de pièce pourri ( !) digne du pire débutant-moyen-en-magie-qui-se-la-pète-grave-et-qui-ne-doute-de-rien (comme tous ces nuls en herbe qui en arrivent au point de se croire la nouvelle-merveille-de-l’univers-en-général-et-en-pièces-en-particulier) !

Pour résumer : notre échange peut se voir, s’entendre surtout et le reste du monde peut nous voir à une seconde de pondre un œuf tant notre naturel en a pris un sérieux coup : pas de problème ! Le spectateur qui se concentre depuis quelques secondes pour ne pas ouvrir sa main, ne verrait même plus un homme malveillant lui ôter son pantalon, son slip, bref ce que vous voulez ! Sa mission est de ne pas ouvrir sa main. Il est focalisé là-dessus. RIEN ne peut l’en détourner. Intéressant, non ?

 

Ce mini exposé peut être déterminant pour vous.

Soit vous comprenez l’idée générale et vous êtes satisfaits.

Soit vous vous demandez jusqu’où ce concept fou peut aller et vous voulez en savoir plus…

A vous de voir !

 

Bises à tous mes lecteurs en tous cas.

 

Amitiés

 

Dominique Duvivier

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Dominique Duvivier

♣️ Magicien. ♦️ Maître de l’art du #CloseUp. ♥️ Créateur de tours et professeur. ♠️ Fondateur @ledoublefond et directeur de Mayette Magie.

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4 commentaires

  1. Alors là, c’est du lourd ! du beau , du grand Duvivier, je dis Messire Dominique.!!…Celui là je me vais te l’imprimer, te me le mettre sous l’oreiller pour l’imbibition,surtout le lire et relire à tête reposée avec l’esprit grand ouvert mais sans fermer de bonne heure (comme certains lol!)….Comme disent mes geeks de gosses  » là… ça poutre !!  » (parait que ça vient de pareil que nous quand on disait que ça envoie le bois !)
    Je vais pas redescendre, en tout cas pas aujourd’hui, de l’état de réflexion intense dans lequel m’a mis la conf de Chad Long hier aprèm ( si vous l’avez raté, c’était BEAU et GRAND!!! j’espère pour nous qu’on aura un jour un very best of en vidéo des conf du DF)!
    Merci en tout cas!
    Amitiés
    Cavaflar
    PS: frites avec Ketchup ET moutarde ! Ben sinon c’est PAS de frites !
    Re Ps: « ceux qui se la pétent grave »….des noms, des noms LOL

  2. Que de bons conseils….
    L’application de ce concept ne se fera, à mon avis, qu’avec l’expérience. Le tout étant de captiver l’attention du spectateur (plus verbale que visuelle si j’ai bien retenu la leçon…) et le garder dans notre direction, cela paraît plus simple à dire qu’à faire…
    Mais si pour vous cela est devenu une banalité, alors Monsieur Duvivier vous restez et resterez toujours mon mentor….
    Je suis loin d’avoir votre talent, mais je me suis toujours chercher un modèle pour aboutir à mes objectifs, pour celui de l’art de la Magie, je n’est pas trouver meilleur que vous!!

    Excusez de la haute importance que je vous donne, mais vous le méritez amplement!

    J’attendrais chaques lundis avec impatience en espérant que le prochain soit demain…

    Au grand plaisir de vous lire et relire….

    Amicalement.

    Ludovic.

  3. Jolie reflexion.
    Qui plus est vous prenez le temps de bien décrire ce qu’il faut pour nous emmener dans votre logique.
    En être conscient est une chose… Savoir l’appliquer en est une autre.
    Sans doute le niveau supérieur de celui qui veut prétendre pratiquer la magie sérieusement.
    Vous mettez le doigt sur un fait : on pense souvent à détournement d’attention d’un point de vue « visuel », on commence seulement à penser au pouvoir des mots…
    Cela me fait penser au travail sur la psychologie de Dani DaOrtiz.
    Lui comme vous, nous parlez d’un travail tout en finesse, un travail important mais qui reste caché, dans l’ombre. Ce qui le rend d’autant plus efficace.
    C’est un très bel article qui enrichit encore un peu plus votre blog à n’en pas douter…
    Et donc le rend de plus en plus incontournable! 🙂
    Merci.

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