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Interview Dominique Duvivier : première partie

Cette interview a été réalisée en septembre 2005 par notre ami Lionel (« Le Marquis » que certains connaissent bien sur mes DVD). Je pense que cela peut vous intéresser !

Bonne lecture à tous

Amitiés

Dominique

Lionel : Tout d’abord merci d’avoir accepté cette interview. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais faire un petit aparté. Ce n’est pas forcément simple de faire une interview de vous, Dominique. En effet, vous n’hésitez pas à répondre dès que l’on vous sollicite. On peut vous lire et vous écouter assez facilement. Dans tous les cas, si on peut, ici, apprendre à vous connaître encore mieux ou tout simplement vous découvrir, l’objectif sera atteint.

Ma première question est donc la suivante : qu’est-ce qui vous motive à répondre aux questions que l’on vous pose ?

Dominique : Ta question est surprenante. Très honnêtement, je ne sais pas. Je suis un passionné de magie. Même s’il se trouve que je suis professionnel, avant toute chose, je suis passionné de magie. Alors, logiquement, dès que l’on m’aborde pour parler de quelque chose que j’aime, et à partir du moment où je pense avoir la liberté de m’exprimer, de faire part d’une partie de ma vérité, je ne vois rien qui puisse m’empêcher de répondre. Ce n’est d’ailleurs pas récent, je pense pouvoir dire que j’ai toujours été comme ça. Bien avant le développement d’Internet d’ailleurs. C’est peut-être plus visible depuis l’émergence du net et depuis que je me suis décidé à tenter d’apprivoiser l’outil informatique.

S’il y a une nouveauté, c’est dans le fait que depuis quelque temps, sur certains forums, il y a des gens qui sont demandeurs de mes points de vue sans être nourris de pensées négatives. J’avais jusqu’alors plutôt l’habitude de voir des gens qui, globalement, disaient du mal de moi, tout en ignorant qui je suis et ce que je fais, ou presque. Mais bon, on s’écarte un peu du sujet, quoi que pas tant que ça, mais pour faire simple, à partir du moment où des personnes ont envie que je donne mon point de vue, je n’ai jamais eu de réticence à le donner. Si on me relance, j’essaye de préciser les choses et s’il y a encore des interrogations, je vais toujours tenter d’y répondre. C’est comme cela qu’à fonctionné la « Discussion à bâtons rompus » sur NeoMagie pendant deux années consécutives [ce site, victime d’un piratage, n’existe malheureusement plus]. Cela aurait pu être plus court, ou plus long, suivant l’état d’esprit et de curiosité de mes interlocuteurs.

Lionel : Tout ceci m’amène à la notion de discrétion. Vous ne cachez pas votre admiration pour Ricky Jay ou Persi Diaconis. Ils font partie des magiciens fuyant comme de la peste les autres magiciens, en particulier les magiciens dits « de clubs ». Avez-vous déjà abordé cette différence entre vous ensemble ?

Dominique : Absolument ! Et au premier degré, directement avec Persi Diaconis et Ricky Jay. Je leur ai demandé si ça les ennuyait que je publie des tours, que je parle, que je communique quand l’occasion m’en est donnée. Ils m’ont répondu que non. Que cela ne leur posait pas de problème. Pour résumer, et sans trop dévoiler la teneur de cette conversation, dès l’instant que je n’aborde pas certains secrets, pour eux, il n’y a pas de problème. Cela peut paraître étonnant ou paradoxal mais ils ne m’ont jamais reproché mon attitude totalement opposée à la leur. Et pourtant, Dieu sait s’ils ont des reproches à faire à beaucoup de magiciens, américains en majorité, mais aussi quelques français.

Je peux même te dire que j’ai insisté dans mes questions en leur disant que je possédais le Double Fond et Mayette, que j’avais repris à l’époque l’édition du Magicien, que j’avais publié beaucoup de choses, soit en vidéo, soit par écrit, etc. Mais ils m’ont assuré que cela ne les gênait pas.

Honnêtement, je ne sais pas vraiment pourquoi cela ne pose pas de problème dans mon cas, alors que ça en pose tellement pour d’autres. Des mauvaises langues diront que cela provient de l’inintérêt de mes publications, mais, dans ce cas, Ricky Jay et Persi Diaconis ne m’auraient alors pas accordé une seconde de leur temps. Il suffit de connaître leur parcours pour s’en rendre compte très vite.

Peut-être se rendent-ils compte que je suis un vrai passionné de magie. Que la magie est toute ma vie et qu’avant toute autre considération, c’est la magie que j’aime et que j’essaye de servir. Je peux t’affirmer que certains magiciens professionnels, au fond d’eux, n’aiment pas la magie tant que ça.

Lionel : J’aimerais m’arrêter quelques instants sur vos interventions que l’on peut lire sur NeoMagie. Ces interventions sont, pour une large part, très théoriques. Jusqu’à quel point aimez-vous la théorie en magie ?

Dominique : Je ne suis pas un théoricien du tout. Même si cela peut paraître paradoxal, selon moi, les développements sur Neo ne sont pas des théories mais des pratiques. Pas une seconde je ne pense à la théorie théoricienne. Cela ne m’intéresse pas, et surtout, je n’y crois pas. J’ai vu trop de magiciens écrire de merveilleux livres, aux Etat-Unis ou en France, prodiguant leurs conseils pour mieux faire ceci, ou être plus efficace dans cela, sans pour autant être crédibles quand on les voyait à l’œuvre. Pire, n’appliquant pas pour eux, ce qu’ils conseillaient à d’autres.

Quand je ne vois pas le rapport entre la théorie et la pratique résultant de cette théorie, je me détourne du sujet.

Attention, je ne dis pas que je suis bon, je ne dis pas que j’ai raison sur les théories que je propose, mais ce qui est clair, c’est que jusqu’à preuve du contraire, quand on me lit et quand on me voit, il n’y a pas de différence. On peut difficilement apprécier ce que je dis sans apprécier ce que je fais, ou l’inverse. Par contre, on peut parfaitement ne pas apprécier ce que je propose dans sa globalité.

Comme NeoMagie n’est, à mon sens, pas l’endroit où l’on peut aborder les points pratiques, nous ne sommes restés que sur de la théorie. Sur d’autres sites, cela pourrait être différent puisqu’on incorpore l’outil vidéo. Comme j’utilise cet outil depuis 1975 car, bien utilisée, la vidéo peut être parfaitement utile, il y a là, peut-être, une possibilité. Tout dépend bien entendu du contexte et du contenu de la demande, si demande il y a.

Lionel : Quel serait alors le contexte idéal pour vous ?

Dominique : Déjà, je le répète, il faudrait qu’il y ait une demande.Je n’attends rien de personne, que l’on soit bien clair. Mais puisque tu me proposes de préciser, allons-y.

Si on se lance dans un projet de la sorte et que, pour finir, on me démontre par a plus b que je me trompe en disant ou faisant ce que je fais, tout à coup, je n’ai plus rien à dire. Je fais comme j’ai l’habitude de faire depuis de nombreuses années, je me tais et je continue à faire ce que je pense être bien pour moi et la magie.

Lionel : Cela ne va t-il pas paraître un peu présomptueux ?

Dominique : Peut-être, mais il faut aussi remettre les choses à leur juste place. Pour illustrer mon propos, je vais prendre l’exemple d’Albert Goshman. J’ai beaucoup parlé avec Albert, ici même, chez moi. Il était assis à ta place et on discutait ensemble des heures durant. Et bien, crois le ou non, mais globalement, à part sa magie, rien ne l’intéressait Albert. Dans un premier temps, ça m’a choqué, mais, par la suite, on peut se dire qu’une personne comme Goshman a tout à fait le droit de ne penser qu’à lui. Il ne faut pas tomber dans la facilité d’interpréter cela comme de l’égocentrisme primaire. Simplement, après avoir vu les plus grands magiciens du monde, sa réponse à lui, c’est son numéro de close-up bien connu. C’est sa réponse, son interprétation. Il faut dire que cette réponse était assise sur un vécu magique assez exceptionnel. Un vécu qui lui a permis de la peaufiner en s’appuyant sur sa pratique de la magie en public. Au nom de quoi me serais-je permis de mettre en doute ses paroles ? On peut discuter, poser des questions pour essayer de mieux comprendre certains éléments, mais jamais, je n’aurais osé lui dire qu’il se fourvoyait. Ce qui n’était d’ailleurs pas le cas. De toute façon, cela ne l’aurait pas ébranlé le moins du monde et il aurait tout simplement cessé de discuter avec moi et continué son chemin.

Quand je lui posais la question « mais que pensez-vous d’untel ou d’untel ? », il me répondait simplement « ouais… Ouais » (rire). Rien de plus ! Et il continuait « mais moi, vous voyez… ». Cela donnait l’impression qu’il pouvait être restrictif, pour quelqu’un qui selon moi était un génie, mais en fait, la vérité de tout cela, c’est qu’on n’a pas à juger. Il a trop travaillé et trop démontré que sa magie était crédible pour que l’on puisse remettre tout cela en cause. Il a fait son chemin, il a observé, testé, pratiqué l’art magique pendant des années et sa manière de répondre, c’est son numéro des salières.

Lionel : Le respect de l’artiste est donc la condition ?

Dominique : C’est tout de même la moindre des choses… Je ne prétends pas une seconde être à la hauteur d’Albert Goshman, mais par contre, tout comme lui et d’autres, je suis un auteur, qu’on le veuille ou non. Je suis un créateur, qu’on le veuille ou non. Talent ou pas, c’est un autre débat, mais je demande juste que l’on respecte cela. Si tel est le cas, alors, tout est possible avec moi.

Si on commence à me dire des choses du style « mais alors, par rapport à untel, ne pensez-vous pas que ceci ou cela ?… », je crois que je vais être un peu plus loquace que Goshman ou Slydini, mais je ne vais pas non plus m’éterniser longtemps.

Cela me fait penser à cette anecdote que j’ai vécu avec Tony Slydini. Je lui demandais un jour « Tony, qui vous a le plus impressionné dans votre vie ? ». Il s’en est suivi un grand blanc, je te promets que ça s’est passé exactement comme ça ; et, à la fin du blanc, il me répond, hésitant : « Il y a peut-être un de mes élèves… Oui, il y a peut-être un de mes élèves qui m’a impressionnée. » Point. Eloquant non ?

Cela dit, Slydini est un immense acteur, un immense créateur qui a codifié la misdirection. Même si je suis moins sensible, pour ma part, à la magie de Slydini qu’à celle de Goshman, il reste un magicien d’un talent absolument redoutable.

Mais, ce qui se passait à coté d’eux, en somme, il s’en moquait plus ou moins.

Lionel : Vous ne l’avez pas trouvé, ce respect ?

Dominique : Riches de ces différentes expériences, et ce ne sont pas les seules, j’ai essayé, quand l’occasion m’en été donnée, de faire comprendre mon point de vue, d’expliquer ce qu’était mon univers magique, de livrer ma réponse, à mon niveau.

Il se trouve qu’à partir de là, un certain nombre de personnes ont trouvé que ce que j’ai apporté à la magie est en effet important mais d’autres, ont affirmé le contraire et continuent de le faire. Avec beaucoup de virulence, c’est le moins que l’on puisse dire. Je n’aurais rien apporté du tout, rien inventé, je ne serais pas même un artiste, pas un comédien, je ne serais rien.

Quand tu constates ce genre de choses que l’on ne peut même pas qualifier d’injustes mais de stupides, soit tu te tires une balle dans la tête, soit ça te fait rigoler. Pour ma part, cela m’a plutôt fait sourire.

Lionel : Comment pouvoir « respirer » correctement dans ce système ?

Dominique : Et bien, à mon petit niveau, j’ai fait un peu comme Albert Goshman et Tony Slydini. Je fais mes trucs et puis voilà. Par exemple, avant que je ne sois plus connu, tout le monde disait que mes tours étaient trop compliqués, qu’ils étaient tellement illogiques que l’on ne pouvait pas suivre ce que je faisais. Le souci, c’est que lorsque je faisais mes tours en public, parfois composé de magiciens, les réactions étaient bonnes et je n’avais pas le sentiment que le public était si perdu que ça. Que fallait-il que je fasse alors ? Suivre les avis du public ou ceux des magiciens qui me jugeaient ?

C’est vrai que mes tours ne suivent pas la logique de la technique technicienne ou de l’idéologie « technicratique », mais ce n’est pas pour autant que les spectateurs ne suivent pas mes effets.

Si j’avais été fragile, crois moi que ça fait longtemps que j’aurais arrêté la magie.

Cela dit, je ne dois pas être si nul que ça puisque les spectateurs sont contents, me le disent et le montrent en revenant me voir.

Donc, petit à petit, j’ai fait comme font tous les artistes qui savent ce qu’ils ont à faire, je me suis construit ma tour d’ivoire qui me permet de respirer et de travailler comme je l’entends. C’est un peu caricatural, mais il y a de ça.

Suite au prochain numéro !

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Dominique Duvivier

♣️ Magicien. ♦️ Maître de l’art du #CloseUp. ♥️ Créateur de tours et professeur. ♠️ Fondateur @ledoublefond et directeur de Mayette Magie.

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4 commentaires

  1. On commence à lire le pavé et on se dit :  » Encore un article intéress…  » … ? Le pavé est déjà fini … (rire). En même temps, comme toujours, rempli d’informations utiles, que l’on lit (dévore?) avec plaisir !
    Vivement le prochain numéro, en effet !

  2. Comme d’ab ça te vous décolle la pulpe du fond.!..c’est bon le Lundi après la soirée électorale :)…Merci Dominique, et Merci au Marquis oeuf corse….!
    Amitiés
    Cavaflar

  3. Il me semble que le mot en trame de fond de cette discussion et de vos réponses est « respect ».
    Ce respect qui est parfois absent sur le net et dans des forums ou l’amateur ayant 3 longs mois d’expérience n’hésite pas à reprendre, voir même à conseiller le maître qui n’a « que » 30 ans de professionnalisme derrière lui…
    Quel regret de ne pouvoir aller lire ce que vous écriviez à l’époque sur le site « Neomagie ». En avez-vous gardé une trace ou est-ce définitivement perdu ?
    Ce blog aura l’avantage de concentrer vos écrits et donc vos idées et réflexions. Au moins, vous gardez le contrôle de vos productions. Merci pour cela.

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