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L’improvisation en magie

Drouby : « Vous êtes un magicien très attaché aux textes et à la mise en scène de vos spectacles. D’autres magiciens tels que Tamariz, Dani Daortiz ou Michael Close ont recours par moment à « l’improvisation en magie » qu’ils comparent aux artistes de jazz. Que pensez-vous de ce type d’approche? Y voyez vous un intérêt et celui ci a t’il une place dans votre magie ? »

Juan (Tamariz) se vante toujours de ne pas avoir de texte. Improviser semble être vraiment sa ligne de conduite. Du coup, je ne dirais pas qu’il aime improviser parfois, puisqu’il dit qu’il ne fait que cela ! Par contre, notez que j’ai écrit « puisqu’il le dit », car je ne crois pas du tout qu’il improvise tant que cela ! J’ai assisté à nombre de ses shows et il dit rigoureusement les mêmes choses à chaque fois. Il improvise sur une situation par-ci ou par-là, mais sans plus ! Mais de toute façon, Juan est un génie, alors il peut se permettre de dire et faire ce qu’il veut : à la sortie le spectacle est de très haut niveau. C’est un entertainer né ! Je ne parlerai pas des autres magiciens cités, car je ne les considère par comme des entertainers justement, mais ce n’est que mon avis ! Ma tasse de thé, c’est plutôt des artistes comme Michael Weber, Ricky Jay, Tom Mullica, Gaëtan Bloom… Cela étant dit, je comprends cette notion d’improvisation comme un jazzman. Au départ, dans la construction et le travail d’un show, je crois que l’improvisation nuit fortement au résultat de la prestation. Rien ne remplace la valeur d’un texte qui structure, qui équilibre… bref qui apporte la base essentielle d’un spectacle. Mais, une fois connu sur le bout des doigts, un texte ne demande qu’à s’envoler et qu’à s’enrichir au gré des représentations ! Je dis souvent qu’il faut avoir tout prévu pour pouvoir gérer l’imprévu et je ne crois pas à autre chose. C’est exactement pareil pour un artiste de jazz : son improvisation ne peut être bonne, que si, au départ, il a travaillé des heures, des années pour maîtriser son instrument, les mélodies, le rythme… En fait, ce qui paraît évident pour le monde de la musique, ne semble pas l’être pour le monde de la magie : la plupart du temps un expert en cartes travaille tout au mieux sa technique, mais n’a pas de textes, pas d’univers… alors il improvise. Conclusion : il fait des tours de cartes mais pas des miracles ! Un peu comme si un musicien osait jouer des gammes en public… Inimaginable ! 

Une fois qu’on maîtrise parfaitement la mise en scène d’un tour, son texte et tout ce qui fera de celui-ci une véritable pièce de théâtre, pas de souci pour improviser, au contraire ! Je suis le premier à laisser la place à cette possibilité (mais toujours dans une limite raisonnable). Combien de fois ai-je retenu des petits bouts de spectacle improvisés un soir, pour m’en resservir le lendemain ! Une réaction inattendue du public, un problème qui survient, une réplique d’un spectateur… peuvent apporter parfois d’excellentes suggestions d’évolution du spectacle ! Je crois que Juan, encore une fois, travaille par couches successives : il invente son tour. Le scénario du tour. Un texte puis une mise en scène adaptée. Ensuite il « envoie » ce tour au public et il réécrit au fur et à mesure les choses qui vont faire que son tour devient une pièce de théâtre. Un jour son  tour (il parle de deux années) devient mature et de là il ne le change plus ou presque. Finalement mon approche est presque identique, à la différence près que je façonne encore davantage les choses en amont : je fais tout pour montrer au public un produit réellement fini. Je préfère cette méthode de travail. Elle me sécurise plus !

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Dominique Duvivier

♣️ Magicien. ♦️ Maître de l’art du #CloseUp. ♥️ Créateur de tours et professeur. ♠️ Fondateur @ledoublefond et directeur de Mayette Magie.

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3 commentaires

  1. En effet, l’improvisation exige la maîtrise totale d’un art.
    Si improviser est synonyme de « combler le blanc, un vide », elle est vouée à l’échec.
    Après il faut aussi examiner l’improvisation qu’est l’exercice solitaire de créer, devant soi même on improvise (à partir de ce qu’on sait déjà dans un premier temps, puis dans un second en ne se fixant aucune limite, on « improvise » autour d’un rêve qu’on veut réaliser)
    Voilà donc déjà trois sens que l’on peut donner à ce verbe merveilleux!
    Merci d’avoir lancé ce débat qui m’évoque déjà beaucoup d’idées espiègles!

  2. Oui, mais cela soulève quelques questions …
    Comment peut on écrire un texte sur un tour au point où il en devient une pièce de théâtre à lui seul ?
    Comment savoir dire tel mot au lieu de tel autre mot, ou laisser planer le suspense … ?
    Et comment prévoir l’imprévu (une interrogation, ou une réaction du public) par exemple ?
    j’en ai d’autres encore mais cela me semble déjà un bon début.
    Magicalement

  3. En fait il faut apprendre le tour, créer le texte,le roder, le ciseler, prévoir l’imprévu pour pouvoir enfin faire face à l’imprévu.
    La méthode consiste à ne laisser dans la pièce de théâtre que ce qui est indispensable, la présenter nue, sans artifice, la plus simple possible pour que tout ce qui reste soit bon.
    Comme le silence qui n’existe que quand il n’y a plus de bruit (« faites silence est un non-sens »), la magie commence quand il n’y a rien en trop.
    (mots superflus, gestes suspects, diarrhée verbale ou autosatisfaction permanente).
    Mieux vaut procéder par soustraction que par addition-empilement.
    ps : bon , ben j’ai plus qu’à bosser maintenant !

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