
Je suis fatigué de voir des tours qui commencent de la même façon, qu’on peut facilement débusquer, sans en avoir vu la fin. Comme un film démodé dont on peut déjà prédire l’issue dès les cinq premières minutes. Un bon film est imprévisible. Un bon tour de magie devrait l’être tout autant. On voit tellement de tours qui sont plutôt intelligents dans la méthode technique, mais d’une pauvreté affligeante en ce qui concerne les effets… Tous ces tours se ressemblent comme deux gouttes d’eau, mais on est content !
Attention, ne croyez pas que je juge ainsi « les autres », comme si j’étais moi-même exempt de ce travers pour toujours ! C’est un combat permanent : je me sens être un perpétuel débutant qui doit se battre pour ne pas se satisfaire de la médiocrité. Chaque jour je suis amené à me dire que je suis juste en train de naître !
Je ne me sens pas si différent de mes jeunes années, quand je me suis lancé vraiment dans la magie : j’avais une vingtaine d’années, Gaëtan Bloom m’avait donné quelques cours et j’ai commencé à imaginer alors « mon » univers. J’ai cherché à donner à mes mains la conscience qu’elles pouvaient prendre de nouvelles orientations. Je les ai guidées dans ce sens. J’ai cherché, par rapport aux techniques et aux effets qu’on m’avait montrés, ce qui pourrait leur « »manquer » » pour les rendre plus performants encore, si le besoin s’en faisait sentir. J’ai travaillé comme un fou pour imaginer une sorte de « nouvelle écriture ». D’ailleurs, en quelques mois, c’est Gaëtan qui a voulu prendre des cours avec moi… Il ne suivait plus ce que j’avais mis au point. C’est un peu comme quand on est à l’école : enfant, on apprend assez vite à lire et à écrire. Mais on n’apprend que plus tard à penser et à utiliser les mots pour nous exprimer d’une façon vraiment personnelle (ça reste une démarche d’ailleurs, car certains moutons de Panurge ne feront jamais l’effort de penser par eux-mêmes…). Et plus notre étude s’approfondit, plus les mots qu’on découvre et qu’on adopte pour exprimer nos idées deviennent proches des idées que nous avions en nous avant de savoir utiliser les mots. Vous voyez ce que je veux dire ? Petit à petit notre pensée s’affine, s’enrichit et devient de plus en plus unique : elle est nous-même. Elle ne fait qu’une avec notre personne. Le langage n’est plus vraiment un outil, il est intégré à notre nature. Eh bien, en magie, c’est pareil. Grâce à Gaëtan, j’ai pu apprendre le langage magique en quelque sorte. Et quand, après avoir travaillé d’arrache-pied pour créer mon propre univers à partir de ce langage, je lui ai montré mon travail, il a voulu, à son tour, apprendre mes techniques et mes effets, mais surtout mes positionnements face à ces nouveautés (c’est l’époque où j’ai créé mon tour « L’Imprimerie » ou « L’esprit à l’envers » par exemple).



